Revue de réflexion politique et religieuse.

L’E­tat et le bien com­mun

Article publié le 7 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Vers une issue

La déli­ques­cence de l’es­prit public des nations occi­den­tales, et de celles qui s’a­lignent cultu­rel­le­ment sur elles dans le monde, est un fait brut, peut-être pas irré­ver­sible, mais dont il est dif­fi­cile d’i­ma­gi­ner la pro­chaine rec­ti­fi­ca­tion. Du moins l’E­glise, en tant que Mère et Maî­tresse, a‑t-elle une parole à faire entendre pour rame­ner les hommes à la péni­tence, et de la péni­tence à l’u­ni­té. Jean-Paul II insiste en ce sens, en par­ti­cu­lier chaque fois qu’il exhorte les nations chré­tiennes à renouer avec leurs racines his­to­riques, comme la France “fille aînée de l’E­glise”. Tou­te­fois, sa volon­té de se réfé­rer envers et contre tout à la ligne conci­liaire (même dûment réin­ter­pré­tée) conduit à des contra­dic­tions, comme en témoigne tout le dis­cours sur les droits de l’homme, vidé de sens depuis que Gor­bat­chev se l’est appro­prié (mais aupa­ra­vant, avait-il un sens ?).

Si dans les textes de Vati­can II il se trouve des imper­fec­tions riches de consé­quences mau­vaises, il faut le dire et prendre les dis­po­si­tions adé­quates pour les révi­ser : n’est-ce pas simple bon sens ? Sur ce ter­rain, les résis­tances sont extrê­me­ment fortes, mais les choses évo­luent.
Oltre il cat­to­li­ce­si­mo demo­cra­ti­co, de G. Zan­no­ni, dont nous avons extrait plus haut un juge­ment sur Gau­dium et spes, est un livre dont la por­tée dépasse son objet. Par­ti pour faire l’a­na­lyse cri­tique des thèses d’une frac­tion mar­gi­nale de la Démo­cra­tie chré­tienne ita­lienne, la Ligue démo­cra­tique, il vise en fait l’en­semble des orien­ta­tions post-conci­liaires en matière poli­tique, comme le sou­ligne son intro­duc­tion : “L’in­té­rêt por­té à la Ligue, à laquelle s’at­tache le livre, n’est pas la Ligue en elle-même. Mais plu­tôt le fait que celle-ci assume et, dirais-je, cris­tal­lise une grande par­tie du catho­li­cisme ita­lien”. G. Zan­no­ni attaque le laï­cisme de la Lega demo­cra­ti­ca, mais, connais­sant la parade de celle-ci, il ne répond pas, comme cela se fait sou­vent, en oppo­sant le vrai Concile à l’es­prit du Concile, et il ouvre le débat. C’est vrai, dit-il en sub­stance, les gens de la Ligue ont du répon­dant dans Vati­can II, et sin­gu­liè­re­ment dans Gau­dium et spes. Ils entendent agir en chré­tiens dans le cadre tota­le­ment laï­ci­sé de la vie poli­tique ita­lienne, mais qui les accu­se­rait de dévia­tion laï­ciste ? Ils peuvent se réfé­rer au texte de la consti­tu­tion conci­liaire ((.    Gau­dium et spes dit au n. 76,1 : “Sur­tout là où il existe une socié­té de type plu­ra­liste, il est d’une haute impor­tance que l’on ait une vue juste des rap­ports entre la com­mu­nau­té poli­tique et l’É­glise ; et que l’on dis­tingue net­te­ment entre les actions que les fidèles, iso­lé­ment ou en groupe, posent en leur nom propre comme citoyens, gui­dés par leur conscience chré­tienne et les actions qu’ils mènent au nom de l’É­glise, en union avec leurs pas­teurs”.)) , et à l’in­ter­pré­ta­tion qu’au­to­rise sa pre­mière par­tie, tout axée sur la volon­té de légi­ti­mer les réa­li­tés natu­relles cou­pées de la foi. Vou­lant sor­tir d’une dif­fi­cul­té insur­mon­table, G. Zan­no­ni se voit conduit à mettre en cause le texte conci­liaire lui-même, son “inco­hé­rence anthro­po­lo­gique”, sa rédac­tion bâclée, ses emprunts par trop som­maires aux manuels théo­lo­giques sans enver­gure. Der­rière tout cela, c’est l’in­ten­tion géné­rale du texte qui est remise en ques­tion celle de trou­ver un ter­rain d’en­tente sur la base des “valeurs com­mu­né­ment admises par tous les hommes, au-delà des diverses croyances”.

Le fait qu’une cri­tique aus­si libre de ton émane d’un sec­teur très proche de Josef Rat­zin­ger confirme la matu­ra­tion pro­gres­sive des pré­oc­cu­pa­tions révi­sion­nistes. Une confir­ma­tion, dis­crète mais sûre, en est don­née dans la der­nière par­tie du récent docu­ment sur la bioé­thique, Donum vitae.

Dans ce texte, signé par le pré­fet de la Congré­ga­tion de la Foi, une règle est énon­cée, dans des termes qui s’é­loignent réso­lu­ment, dans la pra­tique, des asser­tions de la décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse de Vati­can II, en dépit du fait que celle-ci est citée pour la forme. On se sou­vient que la nou­veau­té essen­tielle de Digni­ta­tis huma­nae réside dans l’af­fir­ma­tion d’un droit de la conscience même erro­née, et même de mau­vaise foi, droit que l’E­tat reçoit mis­sion de garan­tir (D.H., 2, 2). Le nou­veau texte dit : “II appar­tient à la loi civile d’as­su­rer le bien com­mun des per­sonnes parle moyen de la recon­nais­sance et de la défense des droits fon­da­men­taux…” (ren­voi est fait à Digni­ta­tis huma­nae). “Cepen­dant, les droits inalié­nables de la per­sonne devront être recon­nus et res­pec­tés par la socié­té et l’au­to­ri­té publique : de tels droits ne dépendent ni des indi­vi­dus, ni des parents (…) ; ils appar­tiennent à la nature humaine”. “II entre dans les devoirs de l’au­to­ri­té publique d’a­gir en sorte que la loi civile soit réglée sur les normes fon­da­men­tales de la loi morale…”.

Ce rai­son­ne­ment ne paraît-il pas évident ? Et ne conduit-il pas inévi­ta­ble­ment à en affir­mer le fon­de­ment ultime, qui est dans l’Au­teur et le Rédemp­teur de la nature humaine ? Pro­cé­der de la sorte entraîne deux consé­quences insé­pa­rables : le retour à la thèse, c’est-à-dire à la pro­cla­ma­tion pro­phé­tique de l’im­pe­rium du Christ Sei­gneur et la néces­si­té qu“ ‘il règne” (1 Cor. 15, 25). Idéal abs­trait s’il ne se concré­tise pas dans la reven­di­ca­tion réelle et dans l’ac­tion. Seconde consé­quence : l’a­ban­don des fausses pistes, pour évi­ter le double lan­gage, même si ces fausses pistes pro­viennent de la pas­to­rale du der­nier Concile.

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