Revue de réflexion politique et religieuse.

Varia­tions doc­tri­nales sur la guerre juste

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Remar­quons que le fait de sou­hai­ter, dans l’esprit de l’Evangile, la dis­pa­ri­tion du fléau de la guerre ne l’élimine pas pour autant, pas plus que sou­hai­ter la dis­pa­ri­tion du péché ne sau­rait conduire à sa dis­pa­ri­tion effec­tive sur cette terre. Aban­don­ner le cadre moral d’une atti­tude res­pon­sable face à l’agression (la théo­rie de la guerre juste n’est-elle pas essen­tiel­le­ment cela ?) débouche d’ailleurs sur des consé­quences absurdes. En jetant un dis­cré­dit glo­bal sur le métier des armes, en don­nant mau­vaise conscience aux défen­seurs de la patrie, en refu­sant de four­nir les repères moraux néces­saires, on risque fort de pro­vo­quer l’indifférence ou la libé­ra­tion des ins­tincts vio­lents. C’est d’ailleurs ce qui est arri­vé au moment de la guerre d’Algérie au sujet de ce qu’on appe­lé, à tort ou à rai­son selon les cas, la tor­ture.
Le fait de prendre pour point de départ une défi­ni­tion de la guerre n’incluant ni la consi­dé­ra­tion des fins ni celle des moyens fausse néces­sai­re­ment le rai­son­ne­ment. C’est exac­te­ment comme si pour pré­ci­ser la nature du pou­voir poli­tique, on par­tait du Prince de Machia­vel. Une défor­ma­tion tout aus­si incom­pré­hen­sible appa­raît dans la défi­ni­tion que l’éditorialiste de La Civil­tà cat­to­li­ca donne de la guerre moderne. Pour lui, est moderne la guerre qui emploie des moyens tech­niques déme­su­rés. La moder­ni­té de cette guerre qua­li­ta­ti­ve­ment nou­velle vien­drait donc de la tech­no­lo­gie, et d’elle seule. Sans vou­loir mini­mi­ser la place exor­bi­tante que tient la tech­no­lo­gie mili­taire à l’époque contem­po­raine, ni la ten­ta­tion qu’elle engendre de mon­ter très rapi­de­ment aux extrêmes, il paraît cepen­dant dif­fi­cile de s’en tenir là pour rendre intel­li­gible la guerre telle que le monde « moderne » la conçoit. Car le pro­blème est d’abord poli­tique — phi­lo­so­phique et moral, par consé­quent, et même reli­gieux — plu­tôt que tech­no­lo­gique, et du fait même, il est plus radi­cal. La guerre moderne est une guerre « auto­nome », affran­chie de toute loi, où cer­tains ont même vu matière à esthé­tique de la volon­té de puis­sance (D’Annunzio, Mari­net­ti). L’escalade tech­no­lo­gique indé­fi­nie que nous avons connue et connais­sons encore n’en est que l’une des mani­fes­ta­tions les plus sym­bo­liques, mais le sym­bole ren­voie à la réa­li­té pro­fonde. Si la pro­po­si­tion avan­cée par le rédac­teur de La Civil­tà cat­to­li­ca peut être jugée irréa­liste, ce n’est donc pas seule­ment par la fausse com­mo­di­té qu’elle offre — décla­rons la guerre abo­lie, et elle dis­pa­raî­tra —, mais sur­tout parce qu’elle passe sous silence la cause prin­ci­pale de tout le mal, cause que l’on pour­rait défi­nir comme une jus­ti­fi­ca­tion théo­rique (bien que sou­vent hypo­crite) de la bar­ba­rie. On objec­te­ra sans doute les bonnes paroles wil­so­niennes remises à l’honneur par le pré­sident des Etats-Unis et ceux qui se sont ran­gés à sa suite. Mais, jus­te­ment, ces paroles manquent de cré­di­bi­li­té parce qu’elles sont démen­ties à toute occa­sion (pour n’en citer qu’une : on s’ingère en Irak pour sau­ver les Kurdes… pen­dant qu’on auto­rise, ou on aide, les Turcs à les répri­mer jusqu’en ter­ri­toire ira­kien). C’est que depuis Machia­vel et quelques autres, « l’homme d’action ne se conçoit guère sans une forte dose d’égoïsme, d’orgueil, de dure­té, de ruse ».
Une fois de plus, on consta­te­ra que sur une ques­tion morale très impor­tante règne un flou inac­cep­table. Le pro­blème dis­ci­pli­naire en matière morale ne sau­rait donc se réduire à la seule exis­tence de la contes­ta­tion, dans le sillage de la pré­ten­due nou­velle morale, simple tra­duc­tion en termes cultu­rels catho­liques de l’utilitarisme libé­ral. A côté de cette pre­mière « héré­sie franche » (qui, en l’espèce, n’admet pas qu’un acte puisse par soi-même être immo­ral, et par consé­quent jus­ti­fie ou condamne la guerre en fonc­tion, notam­ment, de ses consé­quences plus ou moins inté­res­santes) existe une « semi-héré­sie » dont les fai­blesses ne font d’ailleurs que confor­ter la pre­mière. C’est la crise ram­pante de l’approximation, de la confu­sion concep­tuelle, accen­tuée par la manie de se démar­quer du patri­moine des siècles pas­sés.

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