[Note : cet article a été publié dans Catholica, n. 21, septembre 1990]
Une « Messe sécularisée » (Giovanni Testori) ; « liturgie réduite aux gestes de la vie ordinaire » (cardinal Ratzinger) ; réforme menée « à la manière de la révolution culturelle de Mao » (cardinal Lustiger) ; « perte du silence et de l’adoration » (cardinal Siri) ; disproportion « caricaturale » entre parole et eucharistie (cardinal Garrone) ; « bavardage continuel » (cardinal Mayer), etc. La litanie des constats amers pourrait être longtemps poursuivie. Constats impuissants, d’ailleurs : c’est aussi, et c’est peut-être d’abord cela la crise.
Tout n’est plus aussi noir que naguère, il est vrai : l’enthousiasme des réformateurs les plus militants s’est usé. — Il est usé, mais n’a pas totalement disparu. Le P. Lucien Deiss, c.s.sp., qui fut conseiller auprès du Consilium pour la réforme de la liturgie, estime que celle-ci n’est que commencée : l’esprit de Vatican II exige une « réforme permanente » (La Messe — Sa célébration expliquée, Desclée de Brouwer, janvier 1990, livre dans lequel on retrouve les airs connus : pas de « tabous alimentaires » pour le choix de la matière eucharistique, p. 80 ; « l’assemblée qui consacre par le ministère de son prêtre », p. 111 ; etc.). Il faut dire aussi que la liturgie tridentine célébrée dans les chapelles lefebvristes, et maintenant très officiellement dans des paroisses et des monastères, maintient comme une « concurrence » non avouée mais à laquelle tout le monde pense, surtout dans les communautés religieuses et les séminaires (les milieux catholiques encore susceptibles de fournir des vocations en nombre sont ceux aussi qui ont été les plus traumatisés par les bouleversements). Il y a des efforts de création artistique dont certains de qualité (( On pense à la messe du Christ-Roi de Christian Villeneuve, à la Messe pour les paroisses de Xavier Darasse, à la récente messe du Sacré-Cœur de Jean-Michel Dieuaide. De la Messe baroque du XXIe siècle, de Jacques Loussier, qui mêle jazz classique et rock, on reparlera au prochain siècle… )) , mais qui font malgré tout pâle figure à côté des chants somptueux que la liturgie orientale a précieusement conservés à l’inverse de la liturgie latine (les Parisiens le savent qui peuvent participer à la liturgie orientale dans l’église catholique grecque de St-Julien-le-Pauvre).
Les meilleures intentions du monde pour relever l’état actuel de la liturgie tombent à plat. Moins d’excentricité qu’hier, plus de dignité, le reflet d’une convivialité de moyenne bourgeoisie. Autel-table Houssard, grand bouquet de fleuriste-décorateur, aube-chasuble de tergal lourd à col montant, gros cierges rassemblés sur un coin, chants qui ne sont pas désagréables, mais qui ne passeront pas à la postérité (( « Il y a des fleurs et la table est prête,
nous venons te rencontrer.
Le pain de nos vies de nos fêtes,
nous venons le partager » (A 137, R. Fau, O. Vercruysse).)) , dame-cinquantaine-tailleur-strict qui proclame les lectures avec aisance, surprésence du célébrant, de son propre ton de voix, de ses gestes personnels. L’état de la liturgie française est-il en train de se fixer sur une espèce de néosulpicianisme ?
Par ailleurs, le réveil du sens de la « célébration », issu des milieux du Renouveau et marqué par leur physionomie (prières gestuées, méditations à croupetons, chaînes de bras autour de l’autel), ne doit pas faire illusion. Il participe assez largement des ambiguïtés du retour du religieux : recherche d’épanouissement, expression gratifiante de spirituel. De manière très caractéristique, c’est en termes de « gratuité » qu’est souvent loué le regain d’intérêt pour les pèlerinages, les pardons, les cérémonies estivales : « C’est prendre du recul par rapport à la nécessité quotidienne. Liés par les impératifs économiques, les hommes sont écrasés. […] Par du temps consacré gratuitement et par des gestes non productifs, les célébrations de la vie humaine (les fêtes) brisent les chaînes de l’utilité et du mercantilisme. La célébration dit “il y a autre chose” que le productif et le mesurable. Elle donne à la vie une dimension intérieure » (( Mgr Favreau, introduction au Manuel de pastorale liturgique, Dans vos assemblées, ouvrage collectif sous la direction de Joseph Gélineau (Desclée, 1990).)) . Dans cette perspective, la liturgie est une « fête », cette face gratuite de la réalisation de soi dans la postmodernité.
En tout cas, et quelles que soient les nuances à apporter, la dilapidation d’un riche patrimoine en si peu de temps, cette immense déculturation, constitue un des phénomènes les plus troublants de l’histoire de l’Eglise contemporaine. (Nous parlons ici de la dilapidation de fait : nous ne voulons pas entrer dans la querelle sur le point de savoir si elle relève d’« abus », ni dans le débat concernant la valeur théologique des « deux » messes). La puissance apologétique qui émanait du culte catholique au temps du mouvement liturgique jusque dans le milieu des années soixante (on pense au témoignage d’Edith Stein, de Julien Green, de Max Jacob, des Maritain, de tant d’autres) n’est plus qu’un lointain souvenir. Les raisons de cette régression de l’expression du sacré dans la platitude et dans l’ennui ? On pourrait énumérer : la « faiblesse du sens liturgique » renvoie, bien évidemment, à celle de la fidélité dogmatique (( Gabriel Nanterre, « Habiter la liturgie », in Résurrection, avril 1990, pp. 19–21.)) ; la manière dont s’est effectuée la réforme est le reflet de l’effondrement disciplinaire (( Exemples parmi les pratiques entérinées par des autorités hiérarchiques : au Zaïre, les « messes » célébrées avec du pain de manioc et du vin de maïs (« Célébrer en terre africaine », Bruno Chenu, La Croix – l’Evénement, 9 août 1989, p. 3, parle d’autorisation « ad experimentum » : autorisation de l’évêque du lieu ? de la conférence épiscopale ?) ; à Madagascar, les prières liturgiques accompagnant le « rite » de la circoncision (rapport de la commission épiscopale de liturgie à la Congrégation pour le Culte divin, 27 septembre 1984) ; dans un diocèse du Honduras, la délégation donnée par l’évêque à des laïcs pour administrer le sacrement des malades (Etudes Pro Mundi Vita, novembre 1989). )) ; l’inculture — réelle ou démagogiquement affectée — de nombreux clercs a aussi grandement influé ; et aussi la crainte étonnante de se livrer, en quelque domaine que ce soit, à un bilan transparent où l’on appellerait les échecs par leur nom. Et où on déterminerait leurs causes.
Ce dernier élément est à souligner. Jamais sans doute l’Eglise n’a enregistré des reculs si considérables en concomitance avec un ensemble de réformes très profondes qui ont touché tous les domaines. Un jour viendra nécessairement où l’on fera un clair bilan de cette période. Il est vraisemblable qu’on ne conclura pas à une simple relation de cause à effet entre réformes et crise ; mais il est facile de prévoir qu’on établira le caractère accélérateur de ces réformes dans le contexte d’une crise latente préexistante. Le fait est que depuis deux décennies où, pour parler modérément, tout ne va pas pour le mieux, on n’a jamais entendu, fût-ce une seule fois, sur un point seulement, de la bouche d’un responsable : « Nous nous sommes trompés ! Il faut rectifier notre marche ». Que les membres de la hiérarchie pensent unanimement et à tous niveaux que tous les échecs enregistrés soient uniquement et totalement imputables aux « mauvaises interprétations » des textes, aux théologiens contestataires, à la crise générale de la société, etc., n’est pas crédible. Il n’est pas concevable raisonnablement — en dehors même de toutes les preuves que l’on a du contraire — qu’ils n’aient jamais estimé que telle réforme particulière était objectivement néfaste et devait être reconsidérée.
Le sacré et la rationalité moderne
Dans un premier temps, la refonte générale de la liturgie a été vécue comme une commotion qui a marqué de manière très profonde partisans et adversaires — ce qui est normal, parce que dans la liturgie, pour évoquer Péguy, « le surnaturel est lui-même charnel ». Commotion qui a marqué même les plus jeunes bien qu’ils n’aient pas connu l’état antérieur du culte : en effet tout ébranlement culturel perturbe durablement la transmission aux nouvelles générations. La lex orandi est devenue un paysage flou, sans attrait véritable. Qui plus est, à l’origine, comme le fait remarquer Luc Perrin dans L’affaire Lefebvre (Cerf-Fides, 1989), « la révolution culturelle » liturgique qui, dans le milieu paroissial français, a suivi le Concile et mai 68, était en décalage avec les aspirations des fidèles. Elle l’était non seulement à cause de son caractère de bouleversement radical, mais aussi paradoxalement en raison du retard de ses grands thèmes par rapport à l’évolution générale : elle pourchassait la piété individuelle au nom d’une participation collective à l’heure où naissait l’exaltation (elle-même exagérée) de l’individu ; elle s’inspirait de l’ouvriérisme de l’ACO et de la Mission de France cependant que le monde ouvrier d’après-guerre disparaissait.
Les catholiques du rang ont été pris en tenailles, en quelque sorte, entre les professeurs qui, au sommet, retaillaient et cousaient dans les textes et rites ancrés dans la mémoire, et le clergé militant qui, à la base, en profitait pour tout bousculer et souvent pour tout casser. Certes, il est bien vrai que les experts réformateurs se sont voulus continuateurs de ceux qui avaient mis en œuvre le mouvement liturgique commencé au début du XXe siècle et qui s’était épanoui sous Pie XII. Ils étaient d’ailleurs souvent les mêmes : Annibale Bugnini, par exemple, nommé en 1964 par Paul VI secrétaire du Conseil qui a opéré la réforme liturgique postconciliaire, avait été antérieurement secrétaire de la Commission pour la réforme de la liturgie instituée par Pie XII (laquelle avait notamment réalisé la réforme de la Semaine sainte), et il avait occupé ce poste durant toute l’existence de cet organisme, de 1948 à 1960.
Il est cependant évident, quelles que soient les continuités que l’on peut relever, que l’après-Concile fut une toute nouvelle époque. Qui contestera, par exemple, que le « retour à une noble simplicité » demandé par la Constitution sur la Liturgie ait souvent glissé de facto vers l’archéologisme ? Au nom de reconstitutions — au reste discutables comme telles — de la liturgie basilicale du Tardoantico (IVe, Ve siècles), on a sacrifié d’innombrables richesses dont les experts du CNPL et instances équivalentes d’Allemagne et d’Italie décidèrent doctoralement qu’elles étaient des « ajouts ». Sans parler du séisme provoqué par la disparition du latin, de la réduction extrême de cette « chair même de l’acte liturgique » qu’est le silence, selon l’expression de l’historien du sacré Alphonse Dupront, récemment disparu. En tout cas, globalement, le remaniement radical de la liturgie — selon le droit ou contre le droit, ou entraînant le droit à sa suite, comme pour l’introduction massive des langues vernaculaires, peu importe : nous considérons ici le fait — a provoqué une impression de rupture de mémoire grosse de conséquences en un domaine où, précisément, le sentiment de se placer dans la chaîne ininterrompue du « faire mémoire » est structurel.
« Participation pleine, consciente et active de tous les fidèles aux célébrations » ; « grande valeur pédagogique de la liturgie » ; admission « des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples, surtout dans les missions », pourvu que soit sauvegardée « l’unité substantielle du rite romain » : on ne peut qu’adhérer aux altiora principia exprimés par la constitution Sacrosanctum Concilium (( Il faut mentionner à ce propos les sacramentaux récemment ajoutés à la célébration du sacrement de mariage en Zambie : bénédiction de la chambre nuptiale où l’on dépose une image sacrée, bénédiction commune de la belle-mère et de la belle-fille pour qu’elles vivent en harmonie, dons d’objets de piété par le père de l’épouse, etc. (Adista, 25 juin 1990). Remarquons au passage que le thème de l’inculturation n’est pas forcément interprétable en un sens subversif. Les théologiens d’avant-garde l’ont si bien compris que la dernière théologie à la mode est la théologie de la contextualisation, laquelle prendrait mieux en compte la réalité de l’oppression des peuples que la théologie de l’inculturation (Emefie Ikenga-Metuh, « Contextualisation : un impératif missionnaire pour l’Eglise en Afrique dans le troisième millénaire », Sedos, juin 1990, et à l’origine, Hans Waldenfels, s.j., Kontextuelle Fundamentaltheologie, F. Schömingh, Paderborn, 1985).)) . Mais on peut les entendre de différentes façons. Au sujet de la valeur pédagogique de la liturgie, par exemple : il y a une manière d’expliquer qui évacue en fait une partie du sens. « On a donc voulu, pour rendre les rites de nouveau “performants”, dit le cardinal Lustiger, leur donner plus de transparence. Souvent on a substitué l’explication au rite, le commentaire au symbole. Un rite, un symbole doit être porté historiquement et avoir une certaine universalité sociale. Ce n’est pas un prêtre ni un groupe de gens qui peuvent inventer un symbole » (( Le Choix de Dieu, Editions de Fallois, 1987, p. 338.)) . Et d’ailleurs, aujourd’hui, lorsqu’on sonde les opinions des catholiques à propos de l’affirmation : « Ce n’était pas la peine d’abandonner la messe en latin, on ne la comprend pas vraiment mieux en français », 35% sont « plutôt d’accord » (( Sondage CSA/La Vie, La Vie, 7 juin 1990, p. 29.)) .
On touche au point fondamental. Le principe-programme : « mieux adapter aux nécessités de notre époque celles des institutions qui sont sujettes à des changements » (Sacrosanctum Concilium, n. 1) soulève, s’agissant des textes et des rites du culte divin, la question de la perception actuelle du sacré. Peut-on réellement adapter la compréhension du sacré à la rationalité moderne ? « [On a voulu] majorer la vie ordinaire, “la vie de tous les jours”, mot passe-partout dans la langue ecclésiastique. On parlait de la vie quotidienne comme du lieu où pouvait se révéler le sacré et Dieu. Ce n’est pas non plus tout à fait faux. Mais il ne faut pas pour autant oublier que l’univers moderne connaît d’autres modèles. […] Les différents champs de l’existence humaine sont pris dans des réseaux organisationnels où la symbolique de la vie est réduite, mesurée et polarisée en fonction de finalités bien précises, de projets exigeants et d’objectifs souvent économiques. Quand, témoins du Christ, nous avons adopté cette rationalité en prétendant faire entrer dans cet univers rationnel la foi et sa symbolique, nous avons pris la voie la plus difficile. Il n’y a pas là de lieu propre pour l’expression de la symbolique religieuse, puisque, par hypothèse, elle en est expulsée » (( Jean-Marie Lustiger, Le Choix de Dieu, op. cit., p. 341.)) .
L’arrière-plan idéologique
Là est bien le nœud de la crise de la liturgie : la sympathie sans borne que le religieux s’est découverte pour le profane. Cela renvoie à un débat théologique contemporain de la réforme, mais dont les origines sont antérieures, et qu’il importe de rappeler. Il a été ouvert par l’émergence de ce qu’on a appelé les théologies de la sécularisation.
A l’origine, ces théologies étaient protestantes, en particulier celle de Dietrich Bonhoeffer (( Voir D. Bonhoeffer, Qui est et qui était Jésus-Christ ?, Cerf, 1981.)) . Glosant en marge d’ un thème positiviste, elles ont développé cette idée que la foi de l’Ancien Testament inaugura, contre l’osmose païenne du divin et du cosmique, la vision d’un monde profane qui a sa consistance propre. L’Incarnation de Dieu en Jésus-Christ paracheva ce processus, tout le sacré médiateur du divin se concentrant en Jésus-Christ. De sorte que le chrétien n’a pas à s’opposer, si tant est qu’il le puisse, à la désacralisation opérée par la raison scientifique moderne dans tous les domaines, puisqu’elle est dans la ligne d’un processus biblique, ou en tout cas qu’elle le retrouve.
On veut bien que la révélation chrétienne ait en un certain sens précisé le limes du sacré, mais il s’agissait de dépaganiser le monde, ce qui s’interprète non comme une réduction du sacré, mais tout au contraire comme sa réestimation (l’assomption de la nature humaine par la divinité) et même son extension (toutes choses sont aptes à être réassumées dans le Christ). Au reste, de même que telle ou telle croyance païenne pouvait être praeparatio evangelica, tel élément du sacré païen a pu être opportunément réinvesti par la symbolique du culte chrétien. Mircea Eliade, par exemple, remarque que la structure de l’église chrétienne, spécialement byzantine, avec ses quatre parties qui représentent les quatre directions cardinales, reprendrait, selon la symbolique paléo-orientale du temple imago mundi et même copie de l’archétype céleste du monde (( Le sacré et le profane, Gallimard, 1987, pp. 56–59.)) .
Vouloir trouver des harmonies entre la prétendue désacralisation du monde opérée par l’Ancien et le Nouveau Testaments, qui est en fait une purification du religieux, et la désacralisation rationaliste, qui est la négation du religieux, relève, à la limite, de l’abus de langage. Toutes choses égales, cela reviendrait à confondre l’athéisme que les Athéniens reprochaient à Socrate avec celui de Sartre.
Plus loin encore sont allés les théologiens de la « mort de Dieu ». Pour un Thomas Altizer, le Dieu métaphysique, immuable, et surtout garant de l’ordre, est rejeté. En Jésus-Christ, Dieu s’est comme vidé de toute sa divinité, de sa souveraineté, pour prendre la condition de l’homme séculier. Dès lors, expliquera par exemple Harvey Cox, la sécularisation n’est pas à considérer comme un drame, mais au contraire comme une chance pour l’Evangile : elle est même profondément évangélique. « Comme le dit si bien Bonhoeffer, en Jésus, Dieu enseigne à l’homme à se passer de Lui, à acquérir sa maturité, à se libérer de sa dépendance infantile, à devenir pleinement homme. C’est pourquoi l’agir de Dieu en Jésus offre peu de ressources à ceux qui espèrent y trouver de quoi édifier un système total et final. Dieu ne veut pas qu’on use de lui ainsi. Il ne veut pas pour l’homme une adolescence perpétuelle, il veut absolument remettre le monde à l’homme et lui en laisser la responsabilité » (( La Cité séculière, Casterman, 1968, p. 276. )) .
Le thème est d’ailleurs dans l’air de l’époque. Ernst Bloch, dans son marxisme assez inclassable, découvre un Athéisme dans le christianisme (Gallimard, 1978). Il sauverait volontiers dans la Bible « ce qui mérite d’y être sauvé » en la « déthéocratisant » : en interprétant la Bible comme foi dans l’histoire humaine, foi dans le futur, par laquelle « elle transcende sans transcender » (p. 100). Sans oublier, bien sûr, la thèse du désenchantement du monde de Max Weber et de Marcel Gauchet, qui fait du christianisme l’accoucheur de la modernité, ni celle de René Girard pour qui le christianisme met fin à la violence sacrificielle qui serait l’essence du sacré. Autant de variations, au reste très diverses entre elles, sur la réinterprétation du christianisme à partir de la déchristianisation.
Mais il importe de revenir au projet de christianisme areligieux de Bonhoeffer. Il permet de comprendre le ressort du rapprochement opéré entre la sécularisation issue des Lumières et la désacralisation que produirait la foi. En réalité, on est au point de jonction — à l’un des points de jonction — entre le protestantisme et la modernité, où la doctrine de la justification par la foi rejoint la thèse kantienne de l’accès de l’humanité à la « majorité ».
Bonhoeffer doit certainement beaucoup à Karl Barth et à sa critique de la religion au nom de la foi, plus profondément à son rejet total de toute médiation efficace des créatures (( Voir Claude Geffré, « Sécularisation », in Dictionnaire de Spiritualité, 493–508.)) . Il y a, selon D. Bonhoeffer, convergence entre la libération de l’homme « adulte » de toutes aliénations religieuses, et le Dieu souffrant en Jésus-Christ qui s’appauvrit de son pouvoir pour enrichir l’homme. L’homme est dégagé de la misère dans laquelle le maintenait la religiosité — les œuvres — et retrouve son autonomie et sa maîtrise du monde. « Dans ce sens, on peut dire que l’évolution du monde vers l’âge adulte dont nous avons parlé, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme pour le diriger vers le Dieu de la Bible qui acquiert sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance » (( Résistance et soumission, Delachaux et Niestlé, Genève, 1963, p. 163.)) .
De même Friedrich Gogarten identifie le « monde » aux « œuvres » de la loi, qui ne sauraient justifier l’homme. A la différence de celui qui est encore sous la loi et qui met sa confiance dans des pratiques au sein du monde, l’homme de foi au contraire, libre face au monde, ne se fie qu’en Dieu, et acquiert une libre responsabilité vis-à-vis de l’histoire. Sans médiation aucune, sans religion, uni à Dieu par la foi seule, il accède à la seigneurie sur le monde (( Destin et espoir du monde moderne, Casterman, 1970, p. 135.)) .
L’attention est ainsi attirée sur le fait que le rationalisme moderne ne développe pas seulement les virtualités du protestantisme dans le domaine du libre examen, mais encore dans celui de la libération des œuvres (au sens de pratiques salutaires). L’essence de l’économie sacramentelle, à savoir la médiation efficace du sensible pour apporter le salut, est rejetée comme aliénant la raison humaine. Toutes les œuvres du catholicisme, sacrements, sacramentaux, culte, pèlerinages, vénération des lieux, des temps, des images, des reliques, sont évacuées tant par le protestantisme que par les Lumières comme maintenant l’homme dans la « servitude » ou en tout cas dans l’enfance.
Tout cela constitue un fond commun dans lequel ont puisé diversement, selon les besoins de leurs thèses respectives, un certain nombre de vulgarisateurs.
Un choix culturel
Le thème a séduit les catholiques « de progrès », tout à leur projet d’ouverture au monde. Le P. Marie-Dominique Chenu spécialement : « En ce vingtième siècle, avec l’extraordinaire essor de la science et des techniques, la mainmise de l’homme sur les forces de la nature et la planification des économies poussent à son extrême conscience cette dé-sacralisation. Le monde est devenu “profane”. Il serait fâcheux et erroné de voir là une défaite du christianisme ou du moins un relâchement de ses exigences. Au contraire, cette désacralisation de la science et des métiers, de la raison et de la sensibilité, de la nature et de l’histoire, des loisirs et de la culture, de la justice sociale et de l’Etat, est non seulement dans la ligne de l’histoire, mais dans le droit fil de l’Evangile » (( « L’Eglise face aux exigences de ce monde », in Pour une nouvelle image de l’Eglise (Duculot, 1970, p. 195).)) .
Le P. Jean Cardonnel traduira caricaturalement : « Ce qu’il y a de plus faux dans l’Eglise, c’est le dualisme. Il y aurait, en effet, d’un côté le spirituel et de l’autre le temporel, l’Eglise et le Monde, Dieu et les hommes et ce qui est encore plus grave : la nature et l’acte… Le propre de Jésus-Christ est d’avoir tout mélangé : il n’y a pas Dieu en soi d’un côté et les hommes de l’autre » (( Dieu est mort en Jésus-Christ, Ducros, Bordeaux, 1967, p. 216. )) . Théologie de la mort de Dieu qui se prolonge directement en liturgie de la mort du sacré : le sacré disparaît dans l’existentiel, le sacerdoce n’est « nullement un sacerdoce de rites, de célébrations cultuelles, mais un sacerdoce de vie, d’appel à la liberté, de libération » (p. 218).
Mars 1967 : le bouleversement du culte commence en France. Pierre Antoine, s.j., fait paraître dans Etudes un article en forme de manifeste : « L’église est-elle un lieu sacré ? ». Tout sauf cela, bien entendu ! Car « sacraliser des déterminations, nécessairement contingentes, à la façon d’un absolu intouchable, s’en faire l’esclave au lieu de s’y comporter en homme libre, mettre l’homme au service du rite et du droit », c’est « retourner sous la loi » (p. 447). De nos jours, on ne peut plus penser les églises comme des lieux sacrés. « C’est la totalité de la vie humaine et chrétienne (et donc la rencontre humaine, le travail, l’action, l’échange et le dialogue spirituel) qui est assumée et transformée dans le corps du Christ. L’ailleurs de Dieu est ici-même : la transcendance divine nous atteint au cœur de notre vie, comme une dimension de notre propre existence » (p. 442). D’où l’intérêt des assemblées chrétiennes qui se tiennent « à la façon d’un meeting » sur un stade, dans un palais des congrès, ou encore dans le baraquement provisoire d’un chantier.
Il s’agit d’une option délibérée : les gestes, les objets, les paroles, doivent être tirés vers le bas, le commun, le banal. « Tout ce qui, dans la liturgie, veut créer une atmosphère de mystère tombe à faux et n’a plus de valeur pour symboliser la présence de Dieu. Il paraît artificiel de célébrer la liturgie dans un édifice “sacré”, avec des objets et des vêtements “sacrés”, de se plier à tout un rituel dépourvu de sens. Le caractère “sacré” de ceux qu’on appelait les “ministres du culte” pose lui aussi un problème. Les vrais symboles de la présence de Dieu, de son action, de la rencontre avec lui, ne peuvent être tirés que de la vie quotidienne, dite profane : c’est l’homme qui est la meilleure image et le meilleur sacrement de Dieu, non pas l’homme affublé de vêtements étranges, mais l’homme dans sa pauvreté et sa faiblesse, ou dans son effort pour venir en aide à celui qui souffre » (( P. Philippe Rouillard, o.s.b., article « Liturgie », dictionnaire Catholicisme, Letouzey, 1974, t. 7, 892. )) . Les éléments qu’utilise la liturgie doivent être, écrivait le P. Antoine, « désacralisés, restitués à leur simple vérité humaine qui seule importe ici ». Aller du sacré au technique, pour s’extraire de la « mentalité médiévale » qui nous « coupe du monde ». En effet « la technique moderne, la technique progressive, repose sur la désacralisation beaucoup plus qu’elle ne la provoque » (loc. cit., p. 436). A l’ouverture au monde doit donc correspondre une liturgie apte à se « dégager résolument de la figure ancienne pour mettre au jour la figure de l’Eglise propre à notre temps ».
Car l’ouverture au monde est un choix culturel. Hannah Arendt note dans La crise de la culture qu’une société de masse telle que la nôtre ne pourra jamais accéder comme telle à la culture : « Les cathédrales furent bâties ad majorem gloriam Dei ; si, comme constructions, elles servaient certainement les besoins de la communauté, leur beauté élaborée ne pourra jamais être expliquée par ces besoins ». La société de masse est essentiellement société de consommation. Ce qu’elle nomme « culture » est en fait objet de consommation, loisir de masse. « Croire qu’une telle société deviendra plus “cultivée” avec le temps et le travail de l’éducation est, je crois, une erreur fatale. Le point est qu’une société de consommateurs n’est aucunement capable de savoir prendre en souci un monde et des choses qui appartiennent exclusivement à l’espace de l’apparition au monde, parce que son attitude centrale par rapport à tout objet, l’attitude de la consommation, implique la ruine de tout ce à quoi elle touche » (( Gallimard, collection Folio/Essais, 1989, pp. 267, 270.)) .
Rejeter le « sacré séparé de la vie ordinaire » pour se libérer des « œuvres de la loi », comme le voulait le P. Antoine, était en réalité confondre (sciemment ?) les œuvres mortes du légalisme pharisaïque et celles qui expriment concrètement la vie théologale. Les œuvres prises en ce dernier sens, spécialement les principales d’entre elles, les actions sacramentelles, selon les explications célèbres de saint Thomas (( S.T., III, q. 61, a. 1.)) , sont les voies nécessaires au salut de l’homme, à cause des limites propres de la condition humaine. L’homme est corps et esprit : il va au spirituel par le sensible et il s’est soumis plus encore au sensible en raison du péché. Par « le recours au corporel dont il reconnaît ainsi la domination », l’homme « s’humilie » salutairement.
Humiliation qui, certes, tient à sa condition naturelle et pécheresse, mais qui est tout le contraire d’une aliénation, puisqu’elle lui permet d’accéder à la libération du salut. Le baptême dans la mort du Christ pour ressusciter avec lui passe par la soumission dans la foi aux signes corporels que sont les sacrements, et plus largement à toutes les pratiques signifiantes de la vie religieuse. Au sommet de l’édifice se trouve l’accès à la passion du Christ, et grâce à elle à la résurrection, par le signe de l’eucharistie. Il n’y a de sacré en plénitude qu’en Jésus-Christ, dans son humanité unie au Verbe de Dieu. L’Agneau pascal n’était que signe annonciateur de la Passion. Ce qui veut dire, non pas que le culte nouveau soit la fin du sacré, mais au contraire qu’il est la plus haute, la définitive expression de la sacralisation. C’est d’ailleurs dans le signe eucharistique que l’on comprend le mieux la dynamique du sacré : le tout autre — l’action divine — est produit par ce que le signe rend présent — le corps et le sang du Christ. Le signe — pain et vin, paroles de l’Institution — est transfigurant pour l’âme de celui qui participe à l’eucharistie, parce qu’il est lui-même transfiguré par la conversio en corps et sang du Rédempteur. Le signe qui rend présent l’action divine s’évide de sa substance de pain, de sa substance de vin, s’évide en quelque sorte de sa présence propre, pour faire réellement place à la présence de celui dont la divinité a partagé notre humanité. Présence-absence du signe, qui reste signe par les apparences du pain et du vin mais qui n’est plus pain et vin, sur laquelle tout le déploiement du culte divin greffe, d’une part, l’admirabile commercium de la prière et de la grâce, et d’autre part, la foi enseignée par la parole de Dieu et la foi confessée.
Encore faut-il que le traitement du culte divin, l’art liturgique, soit, si l’on peut dire, d’ordre ascendant. Sans doute l’envolée de la cathédrale de Beauvais n’est-elle pas nécessaire pour percevoir que l’Eglise de la terre est déjà la Cité céleste, ni le Miserere d’Allegri pour exprimer la grâce de la contrition, mais il reste qu’il est dans la nature même de la connaissance et du langage humains de s’élever à l’inconnaissable et à l’ineffable par le langage poétique, au sens le plus large de ce terme.
Faut-il donc s’en tenir au jugement extrêmement pessimiste d’Hannah Arendt rapporté plus haut ? Certainement pas. « Nous savons bien que chaque triomphe recèle des germes de ruine et chaque ruine apparente, des germes de renaissance », disait l’historien Gabriel Le Bras à propos des dents de scie du parcours de l’Eglise. Encore faut-il être lucide, et ne pas baptiser « triomphe » ce qui manifestement ne l’est pas.
La liturgie est substantiellement mémorial. Et donc histoire. Les germes de renaissance ont aujourd’hui plus de chances d’éclore du fait que la démarche historique s’est déliée — par le progrès de ses investigations et par l’effondrement des présupposés systématiques —, et qu’elle relativise le relativisme historiciste qui a répandu tant d’acide sur les dépôts successifs des époques liturgiques. De sorte que les faiblesses de l’actuelle déculturation, tentative plus que naïve de reconstitution, apparaîtront sous une lumière toujours plus crue. Etant bien entendu que la résolution de la crise de la liturgie suppose d’autres conditions beaucoup plus fondamentales que celles d’une plus grande acuité et d’une plus grande liberté du regard historique : des conditions ecclésiologiques (( Pour faire comprendre notre hypothèse prospective, nous renvoyons à la restauration de la liturgie romaine au XIXe siècle (sous l’influence de Dom Guéranger, de Dom Benoît Sauter, de F.-X. Witte et du Caecilienverein, etc.) : unification des missels et rituels en les expurgeant des liturgies dites « néo-gallicanes » qu’avaient adoptées les diocèses français du deuxième quart du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, restauration du plain-chant, purification de la polyphonie. Cette restauration correspondait d’abord et avant tout, du point de vue ecclésiologique, aux conditions favorables d’un resserrement de l’Eglise autour de la romanité (comme d’une autre manière, les progrès de la morale alphonsienne, de l’infaillibilité pontificale), mais elle était en outre soutenue par un renouveau d’intérêt pour l’histoire de la liturgie.)) .
L’histoire des mentalités religieuses ne pourrait-elle pas jouer le rôle de fil conducteur ? Alphonse Dupront, déjà cité, historien du « vécu religieux » que l’on rattache à la nébuleuse de L’école des Annales, avait consacré une analyse fort intéressante au langage de la liturgie romaine dans son livre de référence, Du Sacré (( Du Sacré — Croisades et pèlerinages — Images et langages (Gallimard, 1987) : publication d’études rédigées entre 1958 et 1986.)) (langage parlé, langage musical, gestuaire) — d’autant plus aiguë qu’elle était composée par un observateur attentif de la réforme liturgique.
Du langage liturgique de la romanité, il relevait l’unité se dégageant comme élément essentiel au sein des accidents de l’histoire. « Entre Ve et VIIe siècles, où se constituent à Rome, dans la pratique stationale, le premier noyau des textes liturgiques fondamentaux encore en usage aujourd’hui, et XVIe-XVIIe siècles où, dans la triomphante mise en place de la catholicité romaine, la papauté lui impose l’unification liturgique avec Missel, Bréviaire, Martyrologe et Rituel romains, l’entier monde catholique parlera, dans l’acte liturgique, d’une même voix, celle d’une liturgie de chrétienté lentement élaborée à Rome et célébrée dans la langue même de la tradition et de l’ordre romains, le latin » (pp. 490–491). L’épaisseur historique de la constitution de la forme liturgique donne à celle-ci « toutes les apparences de l’extratemporalité ». L’unicité de forme et de langue correspond à un profond besoin de signes externes de communion.
La concision dépouillée de la latinité, « pareille sobriété, ce langage direct, imposent un style d’éminente dignité dans le lien cultuel avec le divin ». Langage mais aussi silence sacré, qui est « chair » de l’acte liturgique : « Préface et Canon pouvaient être considérés [dans les anciens Sacramentaires] comme le saint des saints où pénétrait le célébrant, tel le grand prêtre de l’Ancienne Alliance (Hébreux, IX, 7). Le Canon fut même jadis, dans les pays du Nord en particulier, appelé “sanctuaire”. Données que rapportent les liturgistes : elles éclairent remarquablement le sens sacral de la dramatique en cours. Ce que l’Orient, plus empreint du sens du mystère, accomplissait dans le sacrarium que clôture l’iconostase, l’Occident, moins exigeant du secret du saint des saints, l’enfermait, lui dans le seul silence » (p. 510).
Chant et souffle : « Par le truchement d’une langue unique — il n’y a pas de grégorien vernaculaire — une attitude anthropologique essentielle de la romanité occidentale se découvre, celle de l’accès à la transcendance et au divin par la musicalité disciplinée de la voix orante et la puissance du souffle humain, dans le plus total dépouillement de toute tentation personnelle de virtuosité » (p. 500). Ou bien harmonie « viscéralement sublimante » de la construction polyphonique.
Gestuaire naturelle, d’une harmonie sobre et profonde, comme immémorialement prédéterminée, dans laquelle le célébrant est modèle enseignant par « le vocabulaire gestuel du sacral » : « le ploiement du corps en agenouillements lents et génuflexions profondes », « le geste des mains jointes, doigts allongés, véritable offrande d’allégeance à plus haut seigneur d’un féal tout entier consacré », « tous ces gestes singuliers, savamment distribués dans l’action liturgique, font de celle-ci un acte non commun, créateur de par son étrangeté même d’une attente » (pp. 509–510).
Il y a en tout cela « imprégnation sensible, voire création plus ou moins consciente, d’une atmosphère “autre” ». Ou plutôt, il y avait. Car sont venues des réformes produisant « vulgarisation du langage » et « banalisation des rites » (( Ainsi ces collectes en français pour les funérailles qui empruntent le ton de la conversation : « Nous étions dispersés par notre travail et nos occupations ; nous les avons laissés pour nous unir à la peine des autres » (Missel d’autel Desclée-Mame, p. 1028) ; « Nous avons du mal à comprendre, Seigneur, que l’on puisse mourir si jeune, et qu’une vie soit brisée alors qu’elle commençait à s’épanouir » (pour un jeune homme ou une jeune fille, ibid., p. 1056) ; « Il a fallu la mort pour que N., notre ami, ne souffre plus » (pour quelqu’un qui est mort après une longue maladie, ibid., p. 1058).)) , notamment à cause de l’abandon d’une langue « anciennement vernaculaire dans le monde romain mais devenue, de par l’unité romaine, langue de chrétienté, et assumant ainsi caractère ou réalité de langue sacrée ». D’où la question : « Jusqu’où cette irruption quasi totale du vulgaire est-elle désacralisation, et quelles voies de nouvelle sacralisation ? Il demeure en effet impensable, voire irréel, que cette transformation n’ait créé rupture, et pour le peuple de Dieu, sinon une vision neuve des choses, du moins un plain-pied quasi sans intermédiaire avec l’ordre du monde divin. Jusqu’où dès lors comprendre est-il devenu connaître ? » (pp. 495–496). Mutations des formes du sacré qui posent des problèmes de fond : « Dans le développement d’une célébration eucharistique qui tend de plus en plus à prendre figure familière d’un repas en commun (( Par exemple dans les prières eucharistiques en français pour assemblées d’enfants : « Un soir, en effet, juste avant sa mort, Jésus mangeait avec ses Apôtres. Il a pris du pain sur la table, etc. » (Prière eucharistique I) ; « Il était à table avec ses disciples ; il prit un morceau de pain, il dit une prière pour te bénir et te rendre grâce ; il partagea le pain, etc. » (Prière eucharistique II) ; « Père, nous te disons merci, nous te rendons grâce : C’est toi qui nous as créés ; et tu nous appelles à vivre pour toi, à nous aimer les uns les autres. Nous pouvons nous rencontrer, parler ensemble. Grâce à toi, nous pouvons partager nos difficultés et nos joies » (Prière eucharistique III). )) , l’introduction tant au début qu’à la fin, de paroles de simple urbanité de la part du célébrant à l’assemblée des fidèles, altère l’unicité du langage liturgique, créant un disparate plus ou moins sensible dans l’ensemble de l’acte même, ou du moins, dans les meilleures intentions de mettre plus de liant humain dans la vie commune de la célébration, elle accuse davantage, par ce langage du quotidien, l’atmosphère sécularisante de la cérémonie, en un certain sens la désacralise, dans la recherche possible d’une sacralisation neuve, non plus d’Eglise mais de groupe » (pp. 505–506).
La « sacralité » (chaleureuse dans le meilleur des cas) des groupes et assemblées pour tenter de combler une béance : profond jugement de l’historien livré à la réflexion du théologien.
(cet article a été publié dans la revue n. 21)