Les paroisses parisiennes à l’époque du Concile
St-Nicolas-du-Chardonnet était une paroisse traditionnelle ?
Tout à fait ! St-Nicolas-du-Chardonnet était une paroisse traditionnelle, dans le sens de l’époque évidemment, avec un homme comme le chanoine Régnault, qui s’était passionné pour l’Action catholique dans sa jeunesse. C’était une paroisse plutôt âgée, plutôt somnolente, par rapport au brio, au dynamisme qu’a eu la paroisse St-Séverin jusqu’au Concile. Ensuite l’originalité de cette dernière est devenue moins grande.
Vous avez observé qu’esthétiquement le mouvement liturgique et l’apparition des réformes conciliaires correspondent à un style très daté.
Il est frappant de constater la convergence entre l’esthétique de l’époque (Le Corbusier, les H.L.M., mise en scène à la Wagner) et le thème conciliaire du dépouillement, le goût de la simplicité des formes et du décor intérieur des églises. Inspirés par des considérations différentes, conservateurs de la Ville de Paris et curés se rejoignaient quant à leurs choix esthétiques. Certaines mesures qualifiées par d’aucuns d’iconoclastes ont été réclamées par les autorités administratives.
Le premier train de réformes conciliaires date de 1964.
Quand le Concile a pris en compte les grandes idées du mouvement liturgique, l’application dans un premier temps, à Paris, s’est faite sans difficulté, en ce sens que le terrain était bien préparé dans l’ensemble. C’est un point sur lequel on n’a pas suffisamment insisté : il y a dans l’histoire de la réforme liturgique une période (1963–1969) différente de celle qui a suivi. Le regard rétrospectif, qui fait de Vatican II une naissance, fausse le point de vue, en ce sens que la constitution conciliaire sur la liturgie de 1963 est fort différente de la constitution Missale Romanum de 1969. Les principes généraux sont posés mais rien ne laissait penser que la langue liturgique serait intégralement abandonnée et rien ne laissait non plus penser que le canon romain serait transformé ou remanié. C’est un point qu’il faut souligner : Mgr Lefebvre, opposant s’il en fut, a voté la constitution liturgique sans état d’âme. Il en a fait la promotion à ses confrères spiritains, avec quelques réserves et une interprétation minimaliste, mais il n’y voyait pas d’obstacle fondamental.
La période de 1963 à 1969 a donc été une période de transition. On peut même dire que l’essentiel de la réforme était à peu près acquis en 1969, tout au moins dans ce qui en était la marque la plus visible, c’est-à-dire le passage à la langue vernaculaire : il s’est fait de façon progressive à partir de 1964. Au printemps 1965, on pouvait célébrer la messe entièrement en français, à l’exception du canon romain. A l’automne 1967 elle pouvait être célébrée entièrement en français.
Les premières applications de la réforme liturgique sont des applications qui sont dans l’ensemble modérées — très modérées même dans un certain nombre de paroisses où subsiste l’ancien rituel, mais c’est il est vrai un fait minoritaire. Certaines paroisses (St-Louis‑d’Antin, St-Augustin) ont avancé de manière très pondérée en veillant à ne pas rompre avec l’héritage culturel. C’est après 1968 qu’il y a une accélération. Les rythmes de la réforme ne seront plus les mêmes, avec surtout la volonté de l’imposer comme voie unique, du jour au lendemain.
A la manière de la révolution de Mao, pour citer le cardinal Lustiger.
Exactement ! Il y a deux temps : le rythme, l’approche du temps des années soixante n’est pas la même que celle des années soixante-dix. Les années soixante-dix me paraissent marquées dans le domaine liturgique comme dans le domaine pastoral au sceau de l’urgence. On veut faire vite, et on veut faire systématique. Alors que dans les années soixante, il y a une influence qui progresse plus ou moins lentement, avec la volonté de ne pas trancher dans le vif. Cette période de transition est donc une période complexe : les modifications s’y font par petites touches. Entre 1963 et le 1er janvier 1970, en France, les modifications gardent un caractère facultatif. En ce sens, il y a eu dans cette période un bi-ritualisme : le rite de St-Pie‑V continuait d’être célébré dans un certain nombre de paroisses, à certaines heures, concurremment avec la liturgie en français. L’introduction du français a été la grande innovation de la période, mais elle n’a pas soulevé de problèmes majeurs à l’époque : il ne semble pas y avoir eu un attachement spécial à la langue latine dans la population paroissiale.