Revue de réflexion politique et religieuse.

Le meilleur régime ?

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Pour ce qui est des prin­cipes, l’exigence de faire front face à un enne­mi com­mun comme le com­mu­nisme, avec son idéo­lo­gie, a alors conduit beau­coup de gens à taire les par­ti­cu­la­ri­tés des dif­fé­rents cou­rants de pen­sée. En Europe occi­den­tale, on a vu ain­si coopé­rer des catho­liques intran­si­geants fidèles au magis­tère de Pie XII, des pro­tes­tants, des juifs, des incroyants et des athées ; des conser­va­teurs et des libé­raux ; des libé­raux et des sociaux-démo­crates ; des natio­na­listes et des inter­na­tio­na­listes. Une alliance de ce genre était vouée à res­ter exté­rieure et ins­tru­men­tale, étant conclue pour se défendre de l’ennemi tout en res­tant dans le cadre des ins­ti­tu­tions conformes au prin­cipe du consti­tu­tion­na­lisme occi­den­tal.
Confor­mé­ment aux volon­tés de l’administration amé­ri­caine pré­va­lait alors l’intention de mener la lutte contre le com­mu­nisme « par le moyen de la socié­té du bien-être » ((  Pour ce qui concerne par­ti­cu­liè­re­ment l’Italie, voir par exemple R. But­ti­glione et A. Del Noce, I cat­to­li­ci e la cri­si del­la socie­tà ita­lia­na, dans la col­lec­tion Cris­tia­ni e socie­tà ita­lia­na. Contri­bu­ti per il Movi­men­to popo­lare, n. 4, Milan, 1977, pas­sim, et spé­cia­le­ment p. 3.)) , autre­ment dit par l’expansion crois­sante de la consom­ma­tion des biens et ser­vices. On a déjà fait remar­quer qu’on avait ain­si eu l’intention de com­battre une concep­tion maté­ria­liste de la vie par une autre tout aus­si maté­ria­liste. Ici, il convient d’attirer l’attention sur un autre aspect de la même ques­tion. Il est vrai, comme on le dit, que l’esprit de consom­ma­tion conduit à des phé­no­mènes d’homogénéisation, avec un nivel­le­ment des goûts et des inté­rêts chez les indi­vi­dus, en les tirant « vers le bas ». Mais il est vrai éga­le­ment que la recherche du bien-être maté­riel, ne ren­force nul­le­ment par elle-même l’esprit civique ou la cohé­sion com­mu­nau­taire. On peut rap­pe­ler sur ce point la pen­sée d’Antonio Ros­mi­ni, pour qui « l’intérêt tem­po­rel […] non seule­ment n’unit pas les hommes, mais les divise, car de ces biens tem­po­rels on ne peut jouir qu’individuellement » ((  A. Ros­mi­ni, « La cos­ti­tu­zione secon­do la gius­ti­zia sociale », in Pro­get­ti di cos­ti­tu­zione. Sag­gi edi­ti e inedi­ti sul­lo Sta­to [Pro­jets de consti­tu­tion. Essais publiés et inédits sur l’Etat], Milan, 1952, p. 157.)) . La recherche des biens maté­riels dépend de motifs sub­jec­tifs et engendre des ten­dances à l’éclatement social.
Comme indice allant dans le sens de ce qu’on vient de faire remar­quer, on pour­rait rele­ver que dans cer­tains pays le dés­in­té­rêt pour les ques­tions poli­tiques et gou­ver­ne­men­tales est appa­ru au moment même où dis­pa­rais­saient les ten­sions consé­cu­tives à la peur du péril com­mu­niste. Pour ain­si dire en direc­tion dia­mé­tra­le­ment oppo­sée à cette baisse d’intérêt des gens, il faut noter l’expansion conti­nue de la tech­ni­ci­té et du for­ma­lisme des struc­tures juri­diques, propres aux pays d’Europe conti­nen­tale pui­sant les racines de leur orga­ni­sa­tion dans les Lumières. On constate en effet dans ces pays une dif­fu­sion conti­nue des consti­tu­tions écrites déri­vées de l’archétype de Wei­mar (1919), avec contrôle de la consti­tu­tion­na­li­té des lois et légis­la­tion de plus en plus tatillonne et spé­cia­li­sée. Le droit consti­tu­tion­nel est un sys­tème tou­jours plus com­pli­qué de déci­sions, innom­brables, minu­tieuses, de for­mules et de pro­cé­dures. La sou­ve­rai­ne­té popu­laire elle-même est iden­ti­fiée à une pro­cé­dure ((  Sur ce point, voir J. Haber­mas, Morale, dirit­to, poli­ti­ca, trad. ita­lienne, Turin, 1992, pp. 81ss.)) , et d’autre part les dis­po­si­tions qui concluent des pro­cé­dures aus­si com­plexes qu’artificielles se voient consi­dé­rées, par défi­ni­tion légale, comme les équi­va­lents de la volon­té du peuple.
Mais c’est aus­si du fait de cette pro­pa­ga­tion de ce qu’on appelle la « démo­cra­tie for­melle » et « pro­cé­du­rale » que sur­gissent de nou­veaux pro­blèmes. Après les deux grandes guerres mon­diales, dans la vie poli­tique des pays du Vieux Conti­nent, des faits radi­ca­le­ment nou­veaux sont appa­rus. La déca­dence des Etats natio­naux avait mon­tré l’incapacité des nations euro­péennes prises indi­vi­duel­le­ment à pour­voir à leurs besoins vitaux même élé­men­taires en res­tant dans le cadre de leurs fron­tières ter­ri­to­riales his­to­riques et de leurs ins­ti­tu­tions habi­tuelles ((  On se repor­te­ra par exemple à H. Hol­born, Sto­ria dell’Europa contem­po­ra­nea, trad. ita­lienne, Bologne, 1970, spé­cia­le­ment pp. 5 ss, 234 ss et pas­sim.)) . Le conflit idéo­lo­gique, éten­du au monde entier et à l’intérieur de chaque Etat, a ensuite eu pour effet d’accentuer l’intention de recher­cher une pro­tec­tion des prin­cipes et des ins­ti­tu­tions du consti­tu­tion­na­lisme à un plan mon­dial, avec le regrou­pe­ment des pays occi­den­taux au sein de l’Alliance atlan­tique sous la puis­sante direc­tion et la pro­tec­tion des Etats-Unis.

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