Revue de réflexion politique et religieuse.

La sécu­la­ri­sa­tion de l’E­glise

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

La réforme litur­gique a ain­si don­né lieu, sous le pon­ti­fi­cat de Paul VI, à deux phé­no­mènes oppo­sés : le schisme d’Ecône et la dis­so­lu­tion com­mu­nau­taire et mas­si­fiante de l’eucharistie, sa désa­cra­li­sa­tion. Le drame était que les schis­ma­tiques étaient ortho­doxes, alors que l’hérésie gnos­tique de l’homme divi­ni­sé, de la com­mu­nau­té divine méta­sa­crale, qui fai­sait rage dans l’Eglise, était pro­té­gée par la léga­li­té ins­ti­tu­tion­nelle. La dis­so­lu­tion com­mu­nau­taire de l’eucharistie, non seule­ment dans ses formes extrêmes (les eucha­ris­ties sau­vages), mais aus­si dans les formes modé­rées qu’elle a aus­si revê­tues, était une véri­table cryp­to-héré­sie. L’Eglise de Paul VI a ain­si vécu dans une ten­sion per­ma­nente entre schisme et cryp­to-héré­sie.
La dimen­sion sacrale, mys­té­ri­co-mys­tique de l’Eglise, en a été débi­li­tée. Cela a eu une influence sur deux images fon­da­men­tales du catho­li­cisme : le prêtre et le reli­gieux. L’Eglise, tout au long du second mil­lé­naire, avait eu pour centre le pape, le prêtre, le reli­gieux et la reli­gieuse. On a mis aujourd’hui l’accent sur la dimen­sion sociale de l’engagement reli­gieux, comme action en faveur des plus loin­tains, ce qui a spé­cia­le­ment concer­né deux ordres reli­gieux fon­da­men­taux dans la vie de l’Eglise, les fran­cis­cains et les jésuites. La dimen­sion mys­tique et contem­pla­tive de la vie reli­gieuse com­prise comme consé­cra­tion inté­rieure à Dieu et liée à la recherche de la vie inté­rieure au moyen des œuvres exté­rieures, a été désar­ti­cu­lée : les œuvres exté­rieures sont deve­nues la mesure de l’engagement inté­rieur. Ce qui res­sort du com­mu­nisme au titre de modèle alter­na­tif : l’option pour une situa­tion sociale comme forme his­to­rique du catho­li­cisme et sa réa­li­sa­tion par la praxis. Les consé­quences ont été moins dra­ma­tiques pour les voca­tions fémi­nines, mais le fait d’avoir consi­dé­ré la praxis sociale comme struc­ture his­to­rique du reli­gieux a conduit à l’épuisement de la vie reli­gieuse et du catho­li­cisme.
La perte d’une autre dimen­sion y condui­sait éga­le­ment, celle qui avait été l’essence de la vie reli­gieuse mas­cu­line et fémi­nine, à savoir l’apostolat. Le Concile a cor­rec­te­ment retrou­vé l’interprétation ori­gi­nelle du « hors de l’Eglise point de salut », affir­ma­tion qui, chez Ori­gène et chez saint Cyprien sou­li­gnait l’unité de l’Eglise, mais ne concer­nait pas la ques­tion du salut des non-chré­tiens. Le Concile a mis éga­le­ment en lumière la valeur reli­gieuse des reli­gions non chré­tiennes. Mais le manque de dimen­sion mys­té­rique et mys­tique, cen­su­rée par l’idéologie post­con­ci­liaire, a fait que l’on n’a pas mis en évi­dence comme elle devait l’être l’équivalence entre la com­mu­ni­ca­tion his­to­rique de la vie divi­no-humaine révé­lée et com­mu­ni­quée dans le Christ, d’une part, et l’essence de l’Eglise d’autre part, de la seule Eglise en plé­ni­tude, de la seule Eglise catho­lique. De sorte que l’annonce de la foi aux nations, la com­mu­ni­ca­tion de la vie du Christ au monde, est appa­rue comme une fin mineure par rap­port à la tolé­rance, à l’accord à éta­blir avec toutes les reli­gions et pour finir par rap­port à la concep­tion des mis­sions comme œuvres de déve­lop­pe­ment social. Mais si la chris­tia­ni­sa­tion du monde ces­sait d’être une fin, si la fin deve­nait l’humanisation du monde, tout ce que le catho­li­cisme pou­vait désor­mais offrir au monde et en par­ti­cu­lier au tiers-monde, n’était plus qu’une praxis sociale. Encore une fois, on pou­vait consta­ter la pré­sence du modèle mar­xiste et com­mu­niste avec la dis­so­lu­tion du catho­li­cisme dans la praxis.
La sécu­la­ri­sa­tion de la théo­lo­gie impli­quait une crise radi­cale de la vie reli­gieuse et en rédui­sait le sens.
Il est clair que l’influence mar­xiste et com­mu­niste n’a pas été une influence poli­tique directe : il s’agit en fait d’un modèle cultu­rel qui s’impose dès lors que la théo­lo­gie catho­lique choi­sit la voie de la sécu­la­ri­sa­tion. Une fois Dieu mis hors de l’histoire, le com­mu­nisme repré­sente la forme sécu­la­ri­sée la plus proche du chris­tia­nisme, parce qu’il est une nou­velle ver­sion de la plus antique forme d’hérésie chré­tienne, le gnos­ti­cisme. Du gnos­ti­cisme le mar­xisme conserve cette dimen­sion, qui a tran­si­té par Hegel, et qui veut que le divin consiste dans la connais­sance abso­lue et totale du réel : Marx en a déduit que cela com­porte un chan­ge­ment de la réa­li­té, du rap­port de l’homme à l’histoire. La dimen­sion de la connais­sance abso­lue comme base de la des­truc­tion-recréa­tion du réel dans l’absolu est com­mune au mar­xisme et au com­mu­nisme d’une part et au gnos­ti­cisme de l’autre.
L’influence du mar­xisme et du com­mu­nisme sur les catho­liques n’est pas la cause de la sécu­la­ri­sa­tion, mais son résul­tat inévi­table. Il est sin­gu­lier par exemple que le théo­ri­cien majeur du rap­port entre catho­li­cisme et com­mu­nisme, Fran­co Roda­no, ait été un pen­seur tra­di­tion­nel qui enten­dait sépa­rer, par un dis­cours sur la loi natu­relle, le com­mu­nisme du mar­xisme et le consi­dé­rer comme la forme accom­plie de la poli­tique aris­to­té­li­cienne au XXe siècle. C’est seule­ment après la sécu­la­ri­sa­tion qu’est née en Ita­lie l’influence du mar­xisme dans le monde catho­lique, lequel s’est enga­gé dans des orga­ni­sa­tions qui se situaient au-delà même du Par­ti com­mu­niste ita­lien, jusqu’à des formes extra­par­le­men­taires et jusqu’au ter­ro­risme. L’influence du mar­xisme chez les catho­liques a été une consé­quence de l’idéologie conci­liaire, de l’expression du lan­gage reli­gieux can­ton­né dans les limites du lan­gage des sciences modernes.
Le mar­xisme consent à main­te­nir une diver­si­té par rap­port au réel, une ten­sion uto­pique entre le pré­sent et l’avenir, entre l’actuel et le poten­tiel. Il cherche une escha­to­lo­gie de la plé­ni­tude his­to­rique. Il admet une sécu­la­ri­sa­tion du catho­li­cisme, en main­te­nant, en terme d’absolue imma­nence, le sens d’un achè­ve­ment, d’un escha­ton de l’histoire. De fait, c’est en consé­quence d’un phé­no­mène interne au monde catho­lique que se déter­mine une influence glo­bale du mar­xisme. A cause de cela, la vie reli­gieuse, qui sup­po­sait une émer­gence de la trans­cen­dance de la per­sonne sur la vie his­to­rique, et qui por­tait en elle une ten­sion vers la contem­pla­tion, ne pou­vait qu’être par­ti­cu­liè­re­ment vul­né­rable à la sécu­la­ri­sa­tion.

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