La sécularisation de l’Eglise
La réforme de la liturgie voulait par ailleurs faire ressortir les multiples modes sous lesquels le Christ est présent lors de la messe : dans le prêtre, dans l’assemblée, dans la Parole. Et en outre, elle voulait faire de la messe un acte du peuple de Dieu, par lequel il était tout entier convoqué à participer à l’action sacrée selon la diversité de ses fonctions. Si donc, avant la réforme liturgique, la consécration était l’acte central de la messe, dans la nouvelle messe au contraire, la dimension sacrale se disperse dans toutes les parties de la célébration, en vertu précisément de cette idée que la présence du Christ se réalise sous de multiples modalités.
Ainsi le moment central au cours duquel le fidèle prenait conscience de la présence réelle a disparu. Il a en tout cas perdu de sa valeur de moment mystico-mystérique le plus fort, celui où le peuple chrétien percevait le mystère. Le mystère s’est dilué et, du point de vue du sentiment religieux, le mystère a disparu. Dans un contexte différent, qui ne serait pas marqué par la sécularisation, où serait délivrée une catéchèse mystagogique (( Catéchèse concernant spécialement les sacrements de l’initiation chrétienne, baptême, confirmation, eucharistie [NdT].)) sur le caractère divino-humain de la vie chrétienne, c’est-à-dire dans un climat d’initiation mystique du peuple de Dieu, il eût été concevable que cette réforme liturgique fonctionnât mystériquement. Cela aurait exigé que l’incorporation du chrétien au Christ devienne l’objet du sentiment religieux et puisse conduire la conscience à la dimension mystique. Il eût fallu que la réforme liturgique fût accompagnée d’une intense activité de formation catéchétique à propos de la dimension mystérique et mystique du chrétien. En effet, on ne pouvait pas confier à la réforme liturgique elle-même le rôle de préparer le chrétien à se discerner lui-même comme porteur du mystère du Christ. Or c’était justement ce que la réforme liturgique actuelle supposait. Dans ces conditions, elle ne pouvait que heurter le sens religieux des fidèles et diviser l’Eglise. C’est ce qui est arrivé, surtout en un sens négatif, en touchant la forme de l’incorporation au Christ telle qu’elle était ressentie dans l’Eglise du second millénaire, avec pour objet le Corps du Christ sous les espèces eucharistiques, la présence réelle. Ce moment de l’adoration était celui de l’unification, le lieu de la présence à la Présence, dans lequel le cœur parlait au Cœur. L’adoration était la voie qui conduisait à l’amour, le sentiment profond de la transcendance, le fondement de la joie intime de la Présence.
Une réforme liturgique n’est pas une œuvre de théologie, mais une œuvre de religion, parce qu’elle a une incidence sur la dimension profonde de l’esprit humain, qui est charnel, affectif dans son essence spirituelle. Changer le mode de la prière c’est par le fait même toucher à des zones qui dépassent la raison et le savoir théologique. La réforme liturgique a été imposée au peuple, par un pur acte d’autorité. Toute expression de désaccord cessa d’être licite. C’est la première fois que s’exerçait ainsi dans l’Eglise un tel pouvoir de coercition à l’encontre du peuple, un peuple que le Concile avait pourtant qualifié de peuple de Dieu.